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LA CHIRURGIE D'ARTHRODESE DANS LA LOMBALGIE CHRONIQUE DE L' ADULTE

La chirurgie d’arthrodèse dans la lombalgie chronique de l’adulte

Note critique concernant le document « recommandation de bonne pratique » de l’HAS concernant la thématique Lombalgie chronique de l’adulte et chirurgie

 

Société Française de Chirurgie du Rachis

 

Groupe de travail : Jérôme ALLAIN, Jean-Luc Barat, Jacques Beaurain, Henri -François Parent, Christian Mazel

 

Lors de son congrès annuel de 2014, la Société Française de Chirurgie Orthopédique (SOFCOT) a organisé une table ronde sous l’égide de l’HAS, intitulée « pertinence de la chirurgie dans la lombalgie chronique et recommandation de l’HAS ». Ce document vise à transcrire le contenu de cette table ronde et a exprimé le sentiment de la Société Française de Chirurgie du Rachis sur le texte publié par l’HAS et intitulé : lombalgie chronique de l’adulte et chirurgie. Recommandation de bonne pratique.

Nous avons souhaité limiter ce document à la chirurgie d’arthrodèse pour ne pas en alourdir le contenu en revenant sur la thématique des arthroplasties discales qui a été largement débattue à l’occasion de la publication de son décret d’autorisation.

Nous souhaitons par ce document exprimer que notre expérience chirurgicale et de nombreux travaux scientifiques publiés confirment qu’un grand nombre de situations cliniques, traduites par l’existence de lombalgies isolées ou associées à des radiculalgies, et consécutives à diverses pathologies de la colonne vertébrale lombaire relèvent avec efficacité de la réalisation d’arthrodèses lombaires, selon différentes techniques aujourd’hui parfaitement établies.

Justification de la démarche

1. La constitution du groupe de travail pour l’établissement du document de l’HAS comporte seulement 3 chirurgiens du rachis, pour 9 non chirurgiens dont 2 rhumatologues, 2 psychiatres, 2 médecins généralistes. Cette répartition ne nous paraît pas refléter fidèlement les caractéristiques des intervenants dans cette problématique de la chirurgie du lombalgique. Ce n’est pas parce qu’il revient au généraliste d’être le premier interlocuteur qu’il maitrise la thématique de la chirurgie, de ses indications, de ses techniques, de ses résultats et de ses risques.  Quand au psychiatre, son implication dans le parcours de soin du lombalgique reste cas d’espèce et son implication dans l’éventuelle chirurgie rachidienne inexistante. Il connaît très mal le lombalgique et n’a aucune compétence pour débattre de la chirurgie dans ce contexte.

2. La sélection de la bibliographie retenue est inadaptée et explique probablement l’absence de pertinence des conclusions du texte, tout comme les insuffisances majeures quand aux paramètres analysés et les mélanges dans les techniques utilisées. Ainsi, les arthrodèses par abord postérieur, avec ou sans implantation de cage intersomatique (TLIF ou PLIF), les arthrodèses par abord antérieur (ALIF ou LLIF), et même des arthrodèses postérieures non instrumentées dont on imagine la qualité de la fusion, lorsqu’elle est obtenue sont analysé de façon globale et grossière. Aucune prise en compte de la qualité du résultat anatomique : restauration de la hauteur discale, correction d’un déséquilibre sagittal avec étude de la lordose, étude de la fusion ou de la pseudarthrose de l’arthrodèse n’est rapportée. Ainsi, le choix de sélectionner les articles analysés exclusivement en fonction de critères dans la méthodologie en particulier statistique employée et non dans la qualité de la description des techniques chirurgicales utilisées et surtout dans les informations sur le résultat anatomique obtenu enlève toute valeur à l’analyse faite de la littérature : on évalue ici non pas un médicament, qui une fois administré conservera les mêmes caractéristiques quelque soit le sujet. Nous étudions le résultat d’une chirurgie dont les modalités varient depuis la mise en place de cages remplies d’Inductos par laparotomie à la réalisation d’une arthrodèse postérolatérale appuyée sur des vis pédiculaires avec ouverture du canal rachidien et mise en place d’une greffe osseuse autologue sur les arcs postérieurs. Or nous connaissons la variabilité des résultats obtenus, même en utilisant la même technique.

Le choix des articles est  donc totalement inadapté : dans le document de l’HAS, il est précisé (page 7, « définition ») que la recommandation ne « concerne que la lombalgie discogénique ou facettaire ou mixte », et qu’elle « ne concerne pas (…) le spondylolisthésis, le canal lombaire étroit, la lombalgie avec radiculalgie » (page 15). Pourtant, une grande partie des articles retenus dans le document traite de ces situations. Un seul exemple, page 22 : "les résultats de l'essai rétrospectif (Ref. 26) observaient une amélioration de l'EVA lombaire (7,1 à 3,0) et au niveau des jambes (6,9 à 2,7)". EVA préop des jambes de 6.9 ? Nous sommes pourtant censé traiter de lombalgie sans radiculalgie !

On doit donc conclure des précisions données dans la document de l’HAS que ces recommandations de concernent pas :

- Les déformations (spondylolisthésis, qu’il soit antérieur, postérieur ou latéral comme dans les scolioses dégénératives).

- Les instabilités (qui ne sont pas de lombalgies discogéniques et/ou facettaires)

- Les canaux lombaires étroits

- Et toutes les lombalgies associées à des radiculalgies.

Dans toutes ces situations, le recours à une arthrodèse peut être nécessaire et n’est pas discuté dans le document de l’HAS.

 

3. Analyse faite de la littérature sélectionnée. L’analyse et les conclusions  tirées après avoir donné les résultats des différentes études retenues (avec les réticences précisées ci-dessus) paraissent clairement à charge contre la chirurgie (tout comme l’organisation du document de 56 pages, hors bibliographie et annexes, dont 22 ne traitent que d’un sujet : les complications de la chirurgie).

Ainsi, dans l’analyse de la littérature pour comparer arthrodèse et traitement non chirurgical, 2 revues systématiques de la littérature, 1 méta-analyse et 2 essais randomisés sont retenues.  Leur conclusions, rapportées dans le document de l’HAS sont :

- La première revue systématique de la littérature "conclue à des résultats contradictoires", les auteurs notant que l'explication pouvait en être des traitements différents selon les études (...).

- La deuxième revue systématique de la littérature conclue à « une meilleure amélioration de la douleur (22,8 pts versus 10,6 pts pour les groupe non opérés) et de l'ODI en cas d'arthrodèse ».

- La méta-analyse pris en compte par le document de l'HAS conclue à "une différence moyenne du score ODI en faveur du groupe chirurgical mais la différence n'était pas significative. Les auteurs concluant que l'on ne pouvait recommander l'arthrodèse en routine comme traitement de la lombalgie.

- Les 2 essais randomisés contrôlés retenus concernent exclusivement des arthrodèses postéro-latérales instrumentées. Elles concluent à «  l’absence de différence significative entre la série chirurgicale et la non chirurgicale. » Il faut regretter dans ces 2 essais l’absence de description sur les pathologies rachidiennes pré-op, l’absence d'instrumentation inter somatique par TLIF ou PLIF et surtout l’absence de données sur les résultats anatomiques, en particulier sur la restauration de l'équilibre sagittal.

 

Au total, voici résumés le résultats de la littérature sélectionnée par l’HAS :

2 revues systématiques littérature 1 au résultat contradictoire, 1 en faveur chirurgie.

1 méta-analyse en faveur chirurgie mais sans être statistiquement significatif

2 essais randomisés avec arthrodèse postéro-latérale, de moins en moins utilisée aujourd’hui sans démontrer de différence significative entre les groupes.

Pourtant,  l’HAS en conclut de cette revue bibliographique que "l'arthrodèse (sans précision de technique) n'est pas supérieure à la prise en charge par rééducation intensive et prise en charge cognitive sur la fonction et la douleur". Mais un peu plus loin, l'HAS conclue que "les preuves de littérature en faveur de l'arthrodèse par rapport au Traitement non chirurgical chez les lombalgiques chroniques sans radiculalgies sont faibles". Le discours varie donc, tout comme celui des articles retenus.

4. Il n’est pas abordé dans le texte du document de l’HAS la problématique à laquelle se voient confrontés les candidats à une « rééducation intensive et prise en charge cognitive sur la fonction et la douleur »

Les protocoles de rééducation pris en compte dans l'analyse de la littérature comporte le plus souvent au minimum 70 heures de rééducation reparties sur des longues périodes avec de nombreuses visites de suivi. On peut facilement en imaginer les conséquences familiales, sociales et professionnelles, et en particulier un absentéisme au travail le plus souvent incompatible avec les impératifs des patients.

L'organisation des soins rend cette prise en charge inapplicable pour beaucoup du fait d’un nombre de sites et effectifs insuffisants, de l’éloignement des centres par rapport au domicile des patients interdisant le suivi nécessaire à sa réalisation et des délais de rendez-vous pour la première consultation plus celui pour débuter de façon effective le protocole thérapeutique qui dépasse le plus souvent 6 mois.

De ce fait, même en acceptant les conclusions du document HAS (ce qui n’est pas le cas), il persiste de nombreuses indications d'arthrodèse pour traiter la lombalgie dégénérative d’origine discogénique et / ou facettaire :

- suivi d‘1 programme de rééducation + thérapie cognitive irréalisable du fait de contraintes géographiques ou organisationnelles (artisan / commerçant à son compte et tout salarié ne pouvant suivre un protocole responsable d’un absentéisme prolongé au travail surtout lorsque son domicile est trop éloigné du premier centre de rééducation fonctionnelle).

- Élimination par les rééducateurs de l’indication à leur prise en charge en particulier face à un patient actif, bien musclé, sans rétraction musculo-tendineuse, sans enraidissement rachidien et sans défaut dans son hygiène de vie ou également parce que celui-ci n’est pas capable de suivre le protocole retenu quelle qu’en soit la raion.

- cas où la douleur déclenchée par la rééducation la rend irréalisable

- cas où la prise en charge par les rééducateurs a échoué.

 

Au total, le rapport de l'HAS rapporte presque exclusivement l'absence de preuve scientifique en faveur de telle ou telle solution thérapeutique chez le lombalgique chronique. Il expose principalement notre méconnaissance quant aux meilleures indications thérapeutiques dans cette population. Ceci est le résultat d’un écueil principal : la qualité méthodologique des études faites par les chirurgiens ne satisfait que rarement les spécialistes en études scientifiques alors que les études non menées par des chirurgiens, mais le plus souvent par des épidémiologiques,  ne prennent pas en compte les paramètres chirurgicaux indispensable à l’analyse des résultats de la chirurgie du rachis, pourtant aujourd’hui unanimement reconnus par la spécialité. C’est bien pourquoi le texte de l’HAS échoue à déterminer des facteurs déterminant la qualité du résultat d'une arthrodèse chez le lombalgique : « aucun des 9 paramètres analyses (profil psychiatrique, obésité, tabagisme, facteur anatomique...) n'a pu être retenu comme prédictif d‘1 meilleur / piètre résultat de l'arthrodèse. ». Nous, chirurgiens du rachis, connaissons pourtant bien l’influence de certains de ces paramètres et nous savons les prendre en compte dans nos indications chirurgicales afin de les réserver aux meilleurs cas.

Nous conclurons en reprenant mot à mot le texte du document de l’HAS (synthèse p. 8) : « la comparaison entre les traitements chirurgicaux et non chirurgicaux est artificielle car dans la pratique clinique, la prise en charge médicale et chirurgicale ne sont pas des traitements concurrents ». D’où le devoir qui nous revient aujourd’hui de réaliser des travaux prospectifs à la méthodologie irréprochable, en étroite collaboration avec des cellules scientifiques, incluant une définition précise des populations, une description exhaustive des techniques chirurgicales utilisées et des paramètres post-opératoires obtenus pour déterminer de façon objective les résultats de la chirurgie d’arthrodèse du lombalgique chronique qui reste pour nous une solution efficace lorsque ses indications sont bien posées, et la technique chirurgicale maîtrisée.